La raison des plus forts

Du 6 mai au 11 juillet 2019 s’est tenu le procès France Télécom. Didier Lombard, ex-président du groupe, comparaissait aux côtés de son ancien bras droit, Louis-Pierre Wenès, de l’ex-directeur des ressources humaines, Olivier Barberot, et de quatre autres cadres pour des faits de harcèlement moral ayant conduit à de multiples suicides entre 2007 et 2010. Au premier rang des parties civiles, le syndicat Sud PTT et l’Union syndicale Solidaires, à l’origine de la plainte contre la direction de l’entreprise..

Porte-parole de Solidaires, Éric Beynel a lancé une démarche éditoriale inédite de suivi du procès, conviant chaque jour une personnalité (romancier.ère, chercheur.se., artiste) à rédiger ou dessiner un récit d’audience. Chaque texte constitue un épisode haletant, une plongée dans l’espace ritualisé, tragique, du tribunal. L’ensemble de ces chroniques est réuni dans un livre « La raison des plus forts» aux éditions de l’Atelier qui sort en librairie le 4 juin.

À gauche les avocat.e.s des parties civiles, à droite ceux des prévenu.e.s, deux fois plus nombreux.ses. Au centre des débats, des hommes, des femmes immolé.e.s, défenestré.e.s sur leur lieu de travail, pendu.e.s à leur domicile. Les dirigeant.e.s de France Télécom paraissant patauger dans leurs contradictions…

Un an après ce procès, les chroniques des audiences résonnent avec une acuité particulière avec la période de crise sanitaire que nous traversons et le gouvernement semble faire preuve du même aveuglement sur la santé et les conditions de travail que l’équipe de direction de France télécom d’alors. C’est d’ailleurs ce gouvernement qui s’attaque aujourd’hui et hier à tous les outils ayant permis de condamner Didier Lombard et ses complices. Suppression des CHSCT, musellement de l’inspection du travail, attaques sur l’expertise, réduction des délais, tentative d’interdiction des droits de retrait...la liste des griefs est déjà longue.

Ces chroniques résonnent aussi avec le vécu au travail de nombreux salarié-es s en grande souffrance pris par les cadences insensées, coincés dans les demandes contradictoires, mis dans l’incapacité de bien faire leur travail. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui beaucoup n’ont pas envie de revenir sur leur lieu de travail.

Elles résonnent enfin grâce à ce collectif de plumes qui a su saisir et rendre si présent ce qui s’est joué pendant plus de deux mois, en plusieurs scènes, la représentation concrète, directe de la lutte des classes et la mise en lumière de ces invisibles qui permettent au monde, malgré tout, de continuer à tourner.

Ces invisibles, ces héros ont remporté la partie et ont montré une nouvelle fois que notre principale force c’est le collectif, pour ne plus perdre sa vie à la gagner.

Paris, 4 juin 2020