Haïti vit l’une des crises les plus graves de son histoire. Les gangs – en lien avec le narcotrafic international – contrôlent des pans de plus en plus importants du territoire. Ariel Henry, premier ministre Haïtien de facto, retenu à l’étranger par le gouvernement des Etats-Unis à la suite des attaques de gangs sur l’aéroport de Port-au-Prince a été contraint de ne pas retourner dans le pays.
Après une année 2023 marquée par une intensification de la violence, avec 4451 personnes tuées, l’ONU en dénombre déjà 1 554 autres pour les trois premiers mois de 2024. Le recours aux violences sexuelles contre les femmes par les gangs est systématique, 5000 prisonniers des grands centres de détention du pays ont été libérés – dont beaucoup sont venus grossir les rangs des gangs – et plus de 25 000 personnes ont été enlevées contre rançon. Selon les estimations de l’UNICEF, plus de 1 000 écoles ont fermé ou suspendu leurs cours dans l’ensemble du pays en raison des récentes violences et de l’insécurité. L’ONU qualifie la situation de « cataclysmique » avec des institutions étatiques qui se sont effondrées.
Sur le plan syndical, la situation était déjà marquée par une multiplicité d’atteinte aux droits syndicaux depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, le mouvement syndical se trouve dans un état de détresse absolue. Presque toutes les personnes dirigeantes et déléguées syndicaux ont dû abandonner leur maison pour échapper à la fureur des gangs. Beaucoup de syndicalistes vivent dans l’indignité dans des abris collectifs. Leurs maisons sont incendiées, ils sont affamés.
La responsabilité dans le chaos actuel des grandes capitales occidentales – Washington en tête – est atterrante. Au lendemain, de l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse, les puissances occidentales réunies sous l’égide de l’ONU au sein du Core Group – incluant les chancelleries françaises, canadiennes et de l’UE – ont bloqué toute possibilité d’expression démocratique aux Haïtiens et Haïtiennes à travers l’organisation d’élections libres. Le Core Group a imposé un premier ministre illégal et illégitime, le Dr Ariel Henry, pendant plus de trente mois, dans une situation qui n’a cessé de se dégrader sur tous les plans et a renforcé l’incapacité des pouvoirs publics à s’opposer à la mainmise croissante des gangs.
La société civile et les partis politiques progressistes s’étaient pourtant regroupés, dès août 2021, au sein de la coalition Montana (dont fait partie la quasi-totalité des syndicats haïtiens) afin d’assurer un processus de transition sous contrôle civile et ainsi restaurer la légitimité des institutions démocratiques. Les signataires insistaient sur « le recours à la vitalité de la sphère sociale [qui] est la seule voie pour une sortie durable de la crise, car les secteurs organisés de la société sont seuls capables de contrecarrer l’action d’un État déchiré par les contradictions entre les forces économiques et politiques qui le contrôlent » et refusaient l’imposition coloniale et impérialiste du premier ministre Ariel Henry.
Le 12 mars 2024, par le biais d’une déclaration du Secrétaire générale de l’ONU, il était fait état d’un accord conclu la veille par les parties prenantes haïtiennes sur une entente de gouvernance transitoire, comprenant la mise en place d’un « conseil présidentiel de transition» et la désignation d’un premier ministre par intérim. Puis dans un communiqué datant du 27 mars, ce « conseil présidentiel » composé de partis politiques, de la coalition Montana, de personnes représentants des institutions religieuses et des syndicats d’employeurs a déclaré : « [qu’il] nommera un Premier ministre ou une Première ministre, avec lequel ou laquelle il constituera un gouvernement d'union nationale et remettra Haïti sur la voie de la légitimité démocratique, de la stabilité et de la dignité […] Ensemble, nous exécuterons un plan d'action clair visant la restauration de l'ordre public et démocratique ».
Le 3 avril, le Conseil présidentiel de transition concluait un accord politique pour une « Transition pacifique et ordonnée » avec le Conseil des ministres du gouvernement Ariel Henry. Mais dès le 12 avril, le gouvernement Ariel Henry promulguait par décret la mise en place du Conseil présidentiel de transition en modifiant de manière unilatérale et déloyale le contenu de l’accord politique du 3 avril.
Nos organisations syndicales, issues de la francophonie de Belgique, de France, de Suisse et du Québec, profondément préoccupées par le cours des évènements et déterminées à appuyer les syndicats haïtiens, les travailleuses et travailleurs et plus généralement la population haïtienne dans leur volonté d’aboutir à une transition ne répétant pas les erreurs du passé, ont décidé de se concerter pour :
- demander que le gouvernement de transition qui sera formé donne une place effective à la société civile – à l’instar de la coalition Montana – dans l’élaboration, la mise en place et le suivi des étapes nécessaires à la restauration d’une stabilité démocratique, et notamment l’organisation d’élections présidentielle et législatives libres et régulières ;
- exiger que les syndicats soient présents dans les discussions menant à la résolution de la crise, à l’instar des syndicats d’employeurs, qui disposent d’un siège au Conseil présidentiel et qui risquent encore une fois d’imposer aux travailleuses et travailleurs leur modèle de gouvernance. Il est ainsi indispensable que les syndicats puissent exprimer les revendications et les préoccupations des travailleuses et travailleurs haïtiens ;
- rappeler aux États ayant voté la résolution 2699 (2023) à l’ONU, en particulier aux Etats-Unis, leur obligation « d’empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à Haïti, à partir de leur territoire ou à travers leur territoire ou par leurs ressortissants, ou au moyen de navires battant leur pavillon ou d’aéronefs immatriculés chez eux, d’armes légères et de petit calibre et de leurs munitions » ;
- rappeler que la priorité doit aller à un soutien important aux forces de sécurité du pays, c'est-àdire les Forces Armées d'Haïti (FADH) et la Police Nationale d'Haïti (PNH), et qu’en toutes circonstances l’intervention de la Mission multinationale d’appui à la sécurité autorisée par le Conseil de Sécurité de l’ONU doit se faire en respectant le peuple haïtien.
Pour ce faire, nos organisations appellent à se joindre aux initiatives unitaires de solidarité avec Haïti qui se mettent en place dans nos pays et à la constitution d’une coalition internationale de solidarité la plus large possible.
Nos organisations, profondément attachées aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, rappellent que le rétablissement d’un niveau minimum de stabilité ne peut passer que par une coalition de transition composée d’organisations sociales et politiques implantées dans la société haïtienne et portant des perspectives politiques qui s’attaquent aux causes sociales et économiques de la crise actuelle.
Signataires :
CFDT (France) CGT (France) CISO (Québec) CSC (Belgique) CSD (Québec) CSN (Québec) CSQ (Québec) FGTB (Belgique) FTQ (Québec) FSU (France) Unia (Suisse) Union Syndicale Solidaires (France)
Avec le soutien de : La CTSP, Confédération des travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé (Haïti) La CTH, Confédération des Travailleurs Haïtiens (Haïti)