Pour justifier des coupes budgétaires sans précédent dans les dépenses publiques, on nous refait donc le coup et le coût de la dette publique. Les marges de manœuvre fiscales seraient réduites, il faudrait donc forcément baisser drastiquement les dépenses publiques, le déficit, pour faire baisser la dette publique et revenir dans les clous des fameux critères budgétaires européens. Il n’y aurait même pas de débat à avoir puisqu’il n’y a pas d’alternative. On connaît le refrain. C’est d’ailleurs l’air que Michel Barnier a entonné en annonçant des coupes budgétaires d’un montant sans précédent : 40 milliards d’euros, soit plus que François Fillon et que Manuel Valls en leur temps, c’est dire…
La dette publique, c’est quoi au juste ?
Alors que le déficit est un flux (la différence entre les recettes et les dépenses), la dette publique est un stock. Somme des déficits antérieurs non remboursés, elle est constituée de tous les engagements financiers à plus ou moins long terme des administrations publiques (État, organismes divers d’administrations centrales, collectivités territoriales, Sécurité sociale).
Parmi cette dette publique brute, celle de l’État est la plus importante. À la fin du deuxième trimestre 2024, la dette publique s'établit à 3 228,4 milliards d’euros indique l'Insee dans sa dernière publication du 27 septembre 2024. Depuis près de 25 ans, la dette publique s'est largement accrue. Elle était de 60 % du PIB au début des années 2000, elle a dépassé le seuil des 100 % du PIB en 2017 et atteint désormais 112 % du Produit intérieur brut (PIB).
Pour rappel, et par comparaison, la dette privée (des entreprises et des ménages) s’élevait à 136,6 % du PIB au premier trimestre 2024.
D’où vient la dette ?
Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, la dette ne vient pas d’une société vivant « au-dessus de ses moyens » ni d’un État dispendieux qui ferait de la « mauvaise graisse ». En réalité, plusieurs facteurs expliquent la dette publique. Et ils n’ont rien à voir avec une gestion dispendieuse et le fait de « vivre au-dessus de nos moyens » !
- L’investissement public : depuis 2001, il représente en moyenne 5 à 5,5 % du fameux produit intérieur brut (PIB). À titre d’exemple, en 2023, il représentait 5,5 % du PIB, soit le niveau du déficit public de cette année. Aucun économiste sérieux ne peut prétendre qu’il est anormal de s’endetter pour investir. Mieux, l’investissement public crée de la richesse et du travail : il se traduit en effet par des commandes auxquelles répondent les entreprises. Le Fonds monétaire international estime qu’un euro de dépense publique lié à l'investissement produit 1,4 euro trois ans après : « l’effet multiplicateur » joue donc grâce à la dépense publique un rôle économique positif.
- Des taux d’intérêt élevés ont aggravé le coût et le poids de la dette publique sur la période allant de 1980 à 1997. Dans cette période, si les taux d’intérêt n’avaient pas augmenté, la dette publique aurait été inférieure de plus de 18 points de PIB en 1997. Dans la période récente, les craintes se font certes jour sur l’évolution des taux d’intérêts et le coût budgétaire qu’ils représentent.
- La crise systémique de 2008 explique également une bonne partie la hausse de la dette : elle s’est traduite par un effondrement des recettes et des besoins en hausse, notamment en matière d’aide, d’indemnisation du chômage, etc. La crise du Covid 19 a eu les mêmes effets.
- La politique fiscale : la baisse des impôts, prioritairement orientée vers les riches particuliers et les grandes entreprises, ont toujours été présentées comme permettant de favoriser l’investissement, l’emploi et, in fine, les recettes fiscales. Ce « ruissellement » n’a jamais été une réalité et ne s’est pas passé. De fait, les baisses d’impôt n’ont pas seulement nourri les inégalités, elles ont provoqué un manque à gagner pour les recettes publiques. Les 60 milliards d’euros de besoins de financement avancés par le gouvernement correspondent d’ailleurs à peu de chose près au montant des baisses d’impôts et de cotisations sociales décidées sous l’ère d’ Emmanuel Macron.
La crise de la dette, c’est aussi et surtout une crise des recettes publiques et de répartition des richesses.
L’austérité ? Une réponse idéologique, à l’opposé des enjeux !
Avec 40 milliards d’euros de baisse de la dépense publique, cette austérité est inédite par son ampleur. Au surplus, elle s’ajoute aux 20 milliards de coupes budgétaires décidées précédemment par le gouvernement Attal. Elle est d’autant plus illégitime que les enjeux de la période nécessitent une action publique et des dépenses publiques de haut niveau pour prendre en charge les besoins :
- sociaux : le taux de pauvreté se maintient depuis plusieurs années à un niveau historiquement élevé, la précarité de l’emploi est en hausse (elle représentait 7 % des emplois au-début des années 1980, 13,8 % en 2000 et plus de 16 % dans la période récente), les besoins en matière de protection sociale sont importants, etc,
- environnementaux : la décarbonation de l’économie, la préservation de la biodiversité, la lutte contre l’artificialisation des sols etc nécessitent d’importants investissements publics,
- économiques : la bifurcation sociale et écologique aura un impact sur la production, l’évolution des emplois ou encore les besoins en formation.
L’austérité est la pire des réponses. Ce qui a été imposé à la Grèce l’a dramatiquement montré, l’austérité ne peut avoir que des effets dévastateurs. Le chômage a explosé, le pouvoir d’achat s’est effondré, le mal-être s’est généralisé, avec notamment une hausse des suicides, la couverture sociale s’est affaiblie et la récession s’est installée. Le seul bénéfice aura été pour le patronat qui a pu accélérer le développement de la déréglementation et de la flexibilité, baisser les salaires et par la suite développer les privatisations… De là à dire que l’austérité est le prétexte au démantèlement de l’action publique et de la protection sociale pour favoriser le secteur marchand, il n’y a qu’un pas aisé à franchir !
En résumé, l’austérité c’est : la baisse du pouvoir d’achat, le recul des services publics avec des suppressions d’emplois publics notamment, l’affaiblissement de la protection sociale, la dégradation des conditions de vie, le sacrifice de l’environnement et la préservation d’une poignée d’intérêts particuliers, ceux des plus riches. Pire, l’austérité revenant à baisser les dépenses publiques (donc les prestations sociales, les revenus des agents publics ou encore les pensions de retraites), elle se traduit par des baisses de revenus, de consommation, d’emplois… et de recettes publiques. En conséquence, elle aggrave la dette publique. Le cercle vicieux s’engage alors : pour faire face à la hausse de la dette publique provoquée par l’austérité, on renforce l’austérité, on augmente les impôts sur la consommation (les plus injustes), etc.
Face aux enjeux, des solutions existent !
Pour l’Union syndicale Solidaires, combattre et empêcher la mise en œuvre d’une politique d’austérité est une nécessité absolue. Pour y parvenir, il faut mobiliser plusieurs arguments.
► Il faut avant tout rappeler qu’en France on bénéficie encore d’un système collectif en matière de protection sociale, de santé, d’éducation, etc.. issu du Conseil National de la résistance notamment. C’est ce qui explique que le niveau des recettes fiscales et sociales (les fameux « prélèvements obligatoires ») et des dépenses publiques soit plus élevés que dans d’autres pays comme les Etats-Unis où, pour bénéficier de la même contrepartie, il faut payer des cotisations privées (fonds de pension, système scolaire privé, etc) si toutefois on en a les moyens. Il faut donc assumer ce choix d’une société solidaire dont les besoins et les biens communs relèvent de la gestion publique au service de l’intérêt général et échappent au secteur marchand. C’est par ailleurs souhaitable pour envisager le long terme d’une société moins troublée, là où les appétits financiers ne voient que leur intérêt particulier et le court terme.
► Il faut également battre en brèche les idées reçues sur l’origine et l’évolution de la dette et montrer qu’une autre gestion des dettes publiques est possible en sortant de la dépendance aux marchés financiers. Cela suppose notamment un changement dans la place, le rôle et la politique de la Banque centrale européenne.
► Il faut en finir avec les politiques fiscales néolibérales qui ont creusé la dette publique, affaibli les services publics et la protection sociale, dégradé le consentement à l’impôt et alimenté la crise démocratique, sans effet notable sur l’emploi et l’activité économique.
Trouver de nouvelles recettes et réorienter la politique budgétaire en France tout en réduisant les inégalités, c’est nécessaire et possible :
- créer un véritable impôt sur la fortune,
- imposer les revenus financiers au barème progressif de l’impôt sur le revenu et créer de nouvelles tranches pour un impôt vraiment progressif,
- imposer davantage les transmissions des patrimoines les plus importants,
- remettre en cause les « niches fiscales et sociales « (200 milliards d’euros de manque à gagner) pour supprimer celles qui sont injustes, inefficaces et/ou « brunes »,
- conditionner les aides publiques aux entreprises,
- instaurer une taxe sur l’ensemble des superprofits,
- stopper la baisse des impôts des entreprises,
- créer une taxe sur les rachats d’actions,
- renforcer l’ensemble des moyens des services engagés dans la lutte contre l’évasion fiscale,
- relever le niveau de la dépense publique et l’orienter vers des objectifs sociaux et écologiques
- agir au sein de l’Union européenne pour : instaurer une taxation unitaire des multinationales avec une base d’imposition harmonisée et un taux minimum de 25 %, créer une taxe sur les transactions financières, engager un plan global de lutte contre la fraude fiscale et mettre en place (dans l’UE voire au plan mondial), un impôt sur la fortune des plus riches.
► Enfin, et plus largement, pour prendre en charge les besoins sociaux et environnementaux, il faudra par ailleurs instaurer un pôle bancaire et financier publique dont l’objectif sera de mobiliser l’épargne pour l’orienter vers des investissements sociaux et écologiques stratégiques décidés démocratiquement et cela, sans être soumis à la logique de la rentabilité financière.
► Au-delà, face à l’offensive digne des mouvements conservateurs du 19ème siècle, visant à augmenter les temps de travail, il faut réaffirmer en quoi la réduction et le partage du temps de travail ne peuvent pas être remis en cause. Augmenter le temps de travail : ne résoudra pas la question du chômage et de la précarité, ne réduira pas les inégalités et exercera une plus forte pression sur les conditions de vie.
Le choix est clair : les politiques austéritaires ou la justice fiscale, sociale et écologique ?
Le nôtre est fait !