Solidaires Paris a organisé une soirée de discussion sur le congé menstruel ou hormonal.
Quelques syndicats de l’Union ont commencé à élaborer sur ces nouveaux droits et cela fera partie de la mise à jour de notre revendicatif, il était donc important de réfléchir ensemble en interpro sur cette question.
On avait intitulé la soirée : « Congés menstruels et hormonaux, gagnons de nouveaux droits ! », car la notion de congé menstruel commence à être un peu connue et nous voulions aborder celle de congé hormonal, qui prendrait mieux en compte l’ensemble des étapes liées à la vie hormonale.
Ces différentes étapes sont : les règles ; le syndrome prémenstruel ; l’ovulation (inflammatoire sans souci de pathologie) ; la période de procréation (préparée ou non, il y a mobilisation psychique et arrêt de la pilule et des hormones) avec en plus questionnement sur le fait d’être enceinte ou non (quel que soit son choix) à gérer au travail, le premier trimestre de grossesse qu’on doit taire (on ne sait jamais) mais qui est un énorme bouleversement hormonal et physique ; la période d’interruption de grossesse ; la période pré-ménopause, la ménopause et la post-ménopause ; la contraception à la charge des femmes (rdv médicaux, pose/dépose de stérilet, étapes des changements hormonaux) ; traitements hormonaux (transition de genre, contraception, ménopause, FIV…) ; la surveillance médicale avec injonction sur le corps des femmes de surveiller ce cycle hormonal qui serait signe de bonne santé car lié à la contraception.
Après la présentation d’Annabel Brochier (psychologue du travail et ergonome) sur les conséquences physiques, psychologiques et cognitives, et les conséquences sur le travail, nous avons abordé la question de la réponse syndicale à travers 3 exemples de revendicatif de syndicats.
Présentation d’Annabel Brochier, psychologue du travail et ergonome :
Les conséquences et risques au travail du cycle hormonal
Le cycle hormonal a une durée moyenne de 28 jours, ce cycle – et la vie hormonale en général – a des effets sur le corps des femmes. On va beaucoup parler des règles et des douleurs des règles. Les différents textes de loi proposés sur le congé menstruel parlent de douleurs incapacitantes des règles. Pourtant, ces douleurs concernent la majorité des femmes mais toutes ne connaîtront pas le côté incapacitant. Selon l’IFOP, 10 à 12 % des femmes déclarent ne pas avoir de douleur pendant les règles, cela laisse 90 % des femmes avec des douleurs.
Mais ces douleurs ne se limitent pas au ventre. Nous avons :
- Les douleurs dans le dos, le ventre, les seins, les jambes,
- Des migraines,
- Des hémorroïdes,
- Des troubles du transit (10 % des femmes ont des diarrhées les deux premiers jours des règles), des flatulences, de la constipation, des vertiges,
- Des malaises,
- Des nausées,
- Des bouffées de chaleur,
- Des fuites urinaires et anales,
- Relâchement des tissus,
- Effets secondaires des médications, …
Et ça, c’est sans les effets secondaires des protections périodique avec l’inconfort mais aussi les effets toxiques pouvant aller jusqu’au décès avec le choc toxique. Mais là encore ce serait la faute des femmes… qui ne se lavent pas bien les mains en utilisant ces protections.
En plus des effets physiques, il y a les effets psychiques :
- Devoir cacher son état qui est pourtant un état naturel.
- Simuler le bien-être, car si on est de mauvaise humeur c’est parce qu’on a nos règles et pas parce qu’il y a un déclencheur de mauvaise humeur face à nous.
- Simuler la linéarité de fonctionnement pour tenir des objectifs similaires alors que nos capacités ne sont pas linéaires.
- Peur de ne pas y arriver, d’échouer à simuler.
- Conflit de valeur et injonction paradoxales (risques psychosociaux) : il faut aller travailler alors qu’on n’en est pas capable. Malheureuse de faire semblant d’aller bien et de ne pas réussir à travailler.
- Exprimer ses difficultés mais en même temps personne pour mettre en œuvre des actions.
- Injonctions hygiénistes, à être propre
- Injonction à cacher son intimité
Tout cela a un coût cognitif :
- Anticiper sa journée de travail et établir des stratégies d’évitements,
- Être dans l’hypervigilance permanente,
- Des efforts plus importants pour se concentrer pour arriver au même niveau,
- Dissimuler son état.
Il y a un effet cocktail. On ne peut pas prendre les problèmes un par un, par exemple d’abord les règles puis on verra la suite après. Les femmes subissent un cumul des pénibilités. C’est cette accumulation qui les amène à l’épuisement, et à concilier avec le travail mais aussi le risque professionnel (notamment les RPS) qui se cumule avec la charge mentale.
Ne pas minimiser nos problèmes en n’en regardant qu’un seul mais en regardant l’accumulation globale.
Toutes les femmes n’ont pas tous ces effets tout au long de leur vie, mais les femmes qui traversent l’ensemble de ces périodes sans effets n’existent pas.
Les femmes sous-déclarent et minimisent leurs symptômes, il faut faire des enquêtes en commençant par lever les biais sociaux et les injonctions que mettent le capitalisme et le patriarcat sur les femmes.
87 % des femmes préféreraient ne pas avoir leurs règles, celles qui ne le préfèrent pas c’est souvent parce que c’est un indicateur de non-grossesse.
Il est important de regarder ces congés sous l’angle de la prévention pour concilier vie hormonale et vie professionnelle en levant les biais sociaux qui font que les femmes se taisent.
Prendre la question par les critères de l’évaluation des risques dans le document unique :
- Fréquence : tous les 28 jours, donc 13 fois par an
- Intensité de l’exposition aux risques : dépend de la personne et du travail
- Durée : toute une vie.
Il faut aussi faire attention aux éléments de langage :
- Variation d’humeur et irritabilité : nous nous adaptons aux variations de notre corps, nous sommes tout le temps en sur-adaptation. Notre corps change quatre fois par cycle.
- Mauvaise humeur : s’il n’y a pas de déclencheur à la mauvaise humeur, nous ne le serons pas.
Quelles réponses syndicales ?
On a constaté l’importance d’élaborer des nouveaux droits sur cette question. Mais la question est de comment les mettre en place ? Comment éviter que le débat porte encore sur l’idée que ça pourrait renforcer les discriminations faites aux femmes ? Comment calibrer les revendications, les limites ou pas à apporter…
On va voir l’exemple de 3 syndicats qui ont élaboré sur cette question et comment se sont construits leurs revendicatifs.
Sud PTT
Sud PTT a commencé à s’emparer du sujet lors des dernières négociations de l’accord égalité pro à La Poste en 2022. Les femmes représentent plus de la moitié de l’effectif de La Poste, environ 93 000 personnes. Suite aussi à ce qui s’est passé en Espagne, il y a eu la volonté de construire un nouveau revendicatif.
- 12 jours par an qui peuvent être pris, capitalisables ou bien partagés avec des collègues. Sans avoir à fournir de justificatif et qui ne soient pas considérés comme de la maladie.
- Salles de pause adaptées aux femmes qui ont leurs règles (notamment pour les personnes itinérantes).
- Mise à disposition de protections hygiéniques gratuites ;
La Poste a refusé l’ensemble des demandes sous prétexte d’inégalité femmes/hommes et que les congés ne seraient pas utilisés, et que les femmes allaient voler les protections hygiéniques. Ils ont juste promis de mettre des poubelles partout (ce qui est prévu par le code du travail) et de sensibiliser les RH sur les règles douloureuses.
C’est une première étape pour Sud PTT qui a permis de poser les questions au niveau des collègues. Il était essentiel de poser ce sujet avec nos collègues, au regard des conditions de travail avec notamment les factrices qui travaillent en extérieur parfois plus de 6 heures par jour, avec un accès difficile voire impossible à des toilettes. Certaines avaient des réserves notamment sur la connaissance de leur cycle par les chefs. S’est aussi posée la question de discriminations supplémentaires, mais c’est l’argument utilisé à chaque avancée pour les droits des femmes (par exemple les congés enfant malade).
Le sujet reste tabou dans la société. Peut-être encore plus tabou dans le monde du travail, comme la santé des femmes au travail aussi, parce que les postes « clés » sont occupés par des hommes la plupart du temps. D’où la nécessité de continuer à en parler le plus possible.
Une nouvelle campagne est prévue en novembre 2024, qui sera sans doute étendue aux congés hormonaux.
Sud Education :
C’est récent que ces situations soient portées, la commission droits des femmes et LGBTQIA+ a commencé suite aux décisions de Sud PTT.
Pour les revendications, la question a été posée de comment faire sans que ça se retourne contre les femmes.
- Congés menstruels : sous forme d’autorisation spéciale d’absence (pas de jour de carence) et 20 jours par an et sans délai de dépôt. Accompagné de revendication de remplacement et donc de recrutement.
- Reconnaissance de l’endométriose comme ALD 30
- Accès à des salles de détente et pause adaptées pour le personnel mais aussi les usagères.
- Protections périodiques gratuites dans les établissements, voire remboursement des protections.
- Formation du personnel sur les enjeux des problématiques hormonales et menstruelles.
- Recrutement de médecins du travail pour appliquer, enfin, la loi de la visite périodique annuelle.
Sud Cultures BNF :
Le revendicatif est parti de la base du revendicatif sur la santé au travail.
À la BNF on dispose de 6 jours par an de congé maladie sans justificatif (pas de délai ni de jour de carence). Donc on demande une augmentation de ce droit à 12 jours pour un meilleur accès à la santé. Ces jours sont déjà utilisés en lien avec le cycle hormonal.
Le travail sur ce sujet et sur les revendications des différents syndicats a fait émerger la question de la discrétion et des conséquences en termes de stigmatisation. Et donc le choix a été de limiter à 1 à 2 jours par mois.
Le nombre de jours peut monter jusqu’à 24 jours en passant par la médecine du travail/ de prévention, qui sera donc le ou la seule au courant du problème. C’est le même système pour les personnes en ALD 30 et les personnes victimes de violences conjugales.
Revendications complémentaires : 5 jours supplémentaires d’ASA pour IVG et ISG, congé parentalité de 5 jours au lieu de congé père ou adoption, salle de repos adaptée, mise à disposition de protections périodiques et formation des personnels.
Ce revendicatif a été popularisé dans une campagne avec des affiches, tracts et 4 pages. Et pour le 8 mars, le préavis de grève portera ces revendications.
Conclusion
Pour l’instant personne n’a trouvé la formule magique qui répondrait à toutes les problématiques. Mais on a constaté plusieurs choses à éviter :
- Pas de certificat médical pour obtenir des jours d’absence : nous n’irons pas chez le médecin à chaque fois pour quelque chose qui n’est pas une maladie à soigner. On n’est juste pas en état de travailler, et donc pas de jour de carence.
- On ne peut pas travailler donc le télétravail n’est pas une solution. Cela doit rester un choix.
- Il faut aborder en lien la question de la précarité menstruelle, ainsi que l’accès libre à des sanitaires (personnes en itinérance, bloquées à leur poste de travail, …).
Le nombre de jours ne sera jamais le bon pour tout le monde donc arriver à trouver au mieux. Certaines et certains diront qu’il faut revendiquer plus pour obtenir ce dont on a besoin.
Une autre piste de réflexion est de considérer le cycle hormonal comme une pénibilité au travail, la faire reconnaître en tant que telle pour les droits et la retraite.