Une fois de plus, des centaines de personnes se sont noyées aux frontières de l'Europe en raison du refus délibéré de la part d’Etats membres de l’Union européenne de remplir leurs obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer et en matière de droit d’asile.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, des centaines de personnes, y compris de nombreux enfants, sont portées disparues et présumées mortes au large des côtes grecques. On ne sait combien exactement se trouvaient à bord du navire naufragé, mais les témoignages font état de passagers entassés sous le pont lui-même surchargé. Ce bateau était de fait en détresse, ce qui ne devrait pas autoriser les garde-côtes grecs à justifier leur inaction en arguant que les passagers auraient refusé les secours. En effet, un avion de Frontex a survolé le navire quelques heures avant le naufrage et l’a signalé aux autorités grecques et italiennes plusieurs heures avant qu'il ne chavire, ce qui aurait dû amener les autorités grecques à déclencher immédiatement une opération de sauvetage dans cette zone de recherche et de sauvetage placée sous leur responsabilité.
Depuis des années, les défenseurs des droits humains, les organisations de la société civile, les Nations unies et les médias internationaux ont documenté les violations des droits ayant lieu sur les routes migratoires, ainsi que la responsabilité des politiques migratoires de l’Union Européenne, y compris les limitations croissantes aux opérations de secours en mer et les encouragements aux refoulements vers des pays non-européens, même lorsque ceux-ci sont unanimement considérés comme dangereux.
Alors que le premier trimestre de cette année a été le plus meurtrier en Méditerranée centrale depuis six ans, qu’avec plus de 20.000 morts en dix ans cette route migratoire est considérée comme la plus dangereuse au monde, l’UE et ses Etats membres n’ont cessé de réduire leur capacité de recherche et de sauvetage (SAR) en mer, tout en violant régulièrement leurs obligations internationales en la matière et en entravant drastiquement les opérations menées par les navires des ONG, rendant impossible l’assistance rapide et efficace aux personnes migrantes en situation de détresse.
Les organisations de la société civile ont plaidé sans relâche auprès de la Commission européenne, des États membres et des décideurs politiques européens pour qu'ils adoptent des mesures visant à mettre fin aux violations des droits humains et aux morts insensées aux frontières de l'UE, qu’ils conditionnent leurs politiques au respect du droit ou les modifient lorsque ce droit est bafoué. Si les mécanismes de l’UE censés évaluer l’impact des politiques migratoires européennes en termes de droits humains fonctionnaient et étaient réellement indépendants et transparents, l’UE n’aurait pu continuer à mettre en œuvre, voire à intensifier, des mesures mettant directement en danger la vie des personnes migrantes.
Et pourtant, en dépit de ces alertes, l’UE et ses Etats-membres continuent de conclure avec des pays non-européens des accords impliquant des transferts de milliards d’euros, dans des conditions souvent opaques, dans le seul but “d’externaliser”, c’est à dire de sous-traiter, leurs responsabilités en matière d'asile et de gestion des frontières. Au début de ce mois, les États-membres de l’UE sont aussi parvenus à un accord pour rendre le système européen d'asile et de migration encore plus restrictif, et renforcer des mécanismes censés décourager les arrivées, tels que la détention systématique aux frontières de l'UE.
Cette approche risque de générer encore davantage de décès en mer et de refoulements vers des pays dangereux. De nombreux travaux de recherches montrent que le durcissement des politiques migratoires, et l’absence de voies sûres et légales pour les migrants et les demandeurs d’asile, ne font qu’inciter les personnes fuyant la guerre, la violence et la pauvreté à emprunter des itinéraires toujours plus dangereux, au péril de leurs vies.
Nous demandons :
1/ Une enquête complète et indépendante sur le naufrage survenu au large des côtes grecques le 14 juin dernier, en particulier sur les rôles de l’UE, notamment de Frontex, et de ses États-membres.
2/ La mise en place d’un système d'asile européen qui garantisse aux personnes qui fuient des persécutions dans leurs pays d’origine le droit fondamental à une protection dans des pays à même de leur offrir.
3/ La mise en œuvre d’opérations européennes de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée, sous la responsabilité des Etats et dans le respect du droit international.
4/ Pour décourager les traversées dangereuses, l’ouverture de voies d’accès sûres et légales à l’Europe, aussi bien pour les demandeurs d’asile que pour des personnes en quête de meilleures conditions de vie. Ces voies doivent notamment inclure, en priorité, l’évacuation de migrants et demandeurs d’asile particulièrement vulnérables, bloqués dans des pays, comme la Libye, où leur vie est en danger du fait de violations systématiques de leurs droits, et où l’accès à la protection et aux soins dont ils ont besoin est inexistant ou extrêmement limité.