Université d'été des mouvement sociaux - retour sur le forum "Extrémismes de droite"

Modération : Stephan Lindner

Intervenant-es

  • Annelie Buntenbach – ancienne responsable syndicale allemande femme politique allemande du parti Bündnis 90/Die Grünen.
  • Alexander Tushkin, journaliste russe antifasciste, réfugié en Allemagne
  • Cybèle David – secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires

Résumé

Les intervenant-es ont échangé sur la situation actuelle de l’extrême-droite en Russie, en Allemagne et en France puis ont discuté de la montée de l’extrême-droite dans le monde et des risques de leur arrivée au pouvoir dans de nombreux pays. Enfin différentes stratégies de lutte ont été expliquées.

Tour de table sur l'évolution actuelle de la droite (extrême) dans chaque pays.

Alexander Tushkin

Le sujet de l’extrême-droite est devenu de plus en plus important en Russie.

Aujourd’hui, la Russie utilise l’antifascisme comme excuse pour agresser l’Ukraine. C’est vrai que des groupes en Ukraine posent problème mais mon rôle c’est de déconstruire le discours de l’État russe.

Aucun mouvement politique en Russie ne peut expliquer ce phénomène.

L’extrême-droite a été très importante dans la première partie du régime de Poutine et a été soutenu par l’État.

L’État a même contribué financièrement : des milliers de meurtres ont eu lieu.

Certains russes se disent impérialistes et ont soutenu la fédération russe puis sont allés en Ukraine et se sont engagées.

Il n’y a pas de mouvement d’ extrême-droite organisé mais il existe un danger avec le retour de l’extrême-droite. La question est de savoir quelle sera la position de la fédération de Russie contre le fascisme.

Annelie Buntenbach

Pour lutter contre l’ extrême-droite : nous devons coopérer et regarder ce qui se passe. C’est un sujet important.

Il y a un grand potentiel en Allemagne en ce qui concerne l’extrême-droite . Des études le montrent clairement. Les violences de l’ extrême-droite sont importantes aussi (ex : Rostock).

Toute une génération a été influencée par l’ extrême-droite et on les a laissés faire.

Depuis 2015, l’AFD (Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême-droite) existe en tant que parti et sont présents dans tous les parlements régionaux, occupent beaucoup de sièges : ils reçoivent ainsi des ressources financières.

Ils ont poussé la politique allemande de plus en plus vers la droite et attaquent tous ceux qui ne s’intéressent pas à la haine des migrant-es. L’AFD est encore très acceptée, tolérée par la droite et le centre.

Les néo-nazis de l’ouest vont vers les régions de l’Est et s’engagent dans des associations, font des concerts, des clubs de foot. On sous-estime ce développement dans tout le pays

Le meurtre de Walter Lübcke (préfet qui avait défendu l’accueil des migrant-es) nous le montre.

L’AFD et d’autres groupes font des démonstrations de rue.

Les néo-nazis se développent pendant les crises comme la guerre en Ukraine, l’inflation, manque de soutien aux plus pauvres.

Cybèle David

Le projet politique, économique et social de l’extrême droite est en contradiction totale notre projet syndical de transformation sociale. L’extrême-droite en France, comme dans beaucoup de pays, progresse et pourrait arriver rapidement au pouvoir et les groupuscules fascistes multiplient les provocations, intimidations et actes violents.

La bête immonde qu’est l’extrême-droite n’est pas morte et reste le pire ennemi des salarié·es, des chomeurs·euses, des femmes, des immigré·es, des personnes dites racisées, des LGBTQI, des jeunes et une menace pour la démocratie.

→Dans la période récente, la crise sanitaire et sa gestion catastrophique ont favorisé le développement des thèses confusionnistes et/ou complotistes. L’extrême-droite a participé à propager ces idées nauséabondes.

→Nous sortons d’une séquence électorale importante avec les élections présidentielles puis législatives.

* Dans le cadre de la campagne les idées de l’extrême droite se sont largement diffusées dans la société, au point que les plateaux télé lui ont été grands ouverts. La stigmatisation de l’immigration et le racisme ont été au cœur de la campagne électorale, en particulier dans les médias appartenant aux grands groupes privés.

Il y avait 2 candidats d’extrême-droite :

* Zemmour :candidat ultralibéral, raciste et très médiatique.

* Marine Le Pen du Rassemblement national, qui a fait une campagne moins agressive et a en a profité pour sembler plus « sociale ». Mais on n’est pas dupe qu’elle n’est pas moins libérale et nationaliste que Zemmour.

→ La période de la campagne a vu une augmentation des violences : contre des personnes, locaux syndicaux (SESL en particulier), démonstration de rue de groupuscules d’extrême-droite.

→ Quelques chiffres des élections présidentielles et législatives :

* Présidentielles : Zemmour fait 7 % et Marine Le Pen a fait de très gros score, arrivant au 2e tour.

* Législatives : le RN obtient 89 sièges sur 577. C’est une progression considérable.

2e Tour de table sur les situations nationales

Alexander Tushkin. Sur le régime de Poutine

C’est un régime très autoritaire mais qui ne réunit pas tous les critères du fascisme.

Il y a plus de 50 définitions scientifiques pour le fascisme mais la réponse est non : il n’y a pas de mobilisation du peuple russe qui est très passif contrairement aux autres régimes fascistes. Le peuple russe ne participe pas, ne se mobilise pas.

Il y avait une distinction dans le régime soviétique entre les pauvres qui ne pouvait rien s’acheter. Pour cette partie de la population, Poutine représente la stabilité économique.

Nous devons aussi constater que nos amis ukrainiens disent que le régime de Poutine n’est pas fasciste.

Il y a un débat ouvert sur ce sujet : il faut trouver un nouveau terme pour ce régime.

Au cœur de ce régime : le cynisme, Poutine peut faire ce qu’il veut. La Russie n’a pas de notion de nation et elle est encore assez vide aujourd’hui. C’est peut-être ça la base du régime de Poutine : il n’y a rien.

En matière de nationalisme : les mouvements nationalistes sont morts tout de suite.

Même chose avec l’antifascisme : la Russie essaye d’en terminer. Il y a un des plus grands nationalistes au pouvoir, mais il utilise une rhétorique antifasciste. C’est très étrange.

Le régime a des tendances fascistes, mais n’est pas encore fasciste.

Annelie Buntenbach. AFD – action syndicale

C’est un choc à chaque fois de voir que de nombreux ouvriers votent pour l’extrême-droite en pensant que ça va améliorer leurs conditions de travail. Nous avons besoin de stratégie.

L’AFD essaye de gagner des syndicalistes mais n’a pas réussi malgré leur participation à des scrutins dans les conseils d’entreprises.

Mais leur discours est très présent dans les médias.

Un nazi convaincu mène des campagnes dans les entreprises mais ne gagne pas forcément en pouvoir.

Nous sommes contre le racisme et nous pouvons aussi atteindre les personnes que l’AFD essaye de ramener à lui.

L’AFD essaye toujours de se présenter comme un parti des personnes pauvres, mais ce n’est pas la réalité.

Elle utilise une rhétorique sociale mais ne l’est évidemment pas.

Cybèle David – en France, y-a-t-il des signes d'une possible coopération entre le Rassemblement national et le parti de Macron ?

→Le RN a mené une campagne soi-disant “ sociale ” mais la réalité une fois élu : il défend le capitalisme comme l’ensemble de la droite.

→ Macron n’a pas de majorité et a besoin de la droite et de l’extrême-droite pour gouverner.

→ Il y a encore eu peu de votes, mais voilà les alliances :

*Loi pouvoir d’achat : vote commun “ renaissance ” & RN & LR

* Loi finances rectificatives : “ renaissance ” & LR Pour / RN : abstention

* loi Suède et Finlande dans l’OTAN : “ renaissance ” & LR Pour / RN : abstention

On voit que le RN soutient le gouvernement dans sa politique antisocial. En revanche s’abstient sur d’autres sujets.

Par ailleurs, Darmanin, le ministre de l’intérieur a annoncé une loi sur l’immigration qui a pour le moment été reportée. Cette loi vise à accentuer encore la répression des migrant-es, notamment sur la double-peine (condamnation + expulsion). On peut supposer que le RN soutiendra ce projet.

3e tour de table - Comment voyez-vous la tendance globale de la droite ? (Trump, Poutine, LePen, Bolsonaro, Orban, terrorisme de droite, etc.) ? La mondialisation est-elle suivie par la montée mondiale d'une droite nationaliste et autoritaire renouvelée ?

Alexander Tushkin. Projet de cartographie l’Europe antifasciste

Il y a eu une conférence à Madrid avant la guerre pour l’antifascisme.

Ce projet répond à ce réseau : avec la carte interactive de l’Europe antifasciste. Il est soutenu par la fondation Rosa Luxemburg. Il regroupe des infos sur tous les groupes d’extrême-droite / extrême-droite au pouvoir / violences…

Site : antifascist-europe.org/data-explorer

Il y a un Réseau européen à construire pour agir ensemble.

Cybèle David

L’extrême-droite profite de la crise écologique et économique pour percer de partout et on a du mal à proposer une alternative en face qui soit audible.

Cela dit, le phénomène n’est pas nouveau et on retrouve des dynamiques similaires aux années 1930 dont la crise a vu la mise en place de nombreuses dictatures.

Il y a une véritable inquiétude sur la banalisation des idées d’extrême-droite, la décomplexion des idées racistes et du révisionnisme, du complotisme et la montée des passages à l’acte, des violences. Pour notre part, nous échangeons avec les organisations syndicales du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes dont nous sommes membres.

Et ne l’oublions pas, l’extrême droite tue partout dans le monde :

Le 5 juin 2013, il y a 9 ans, notre camarade Clément Méric, militant antifasciste et syndical, était assassiné par des militants néo-nazis, en plein Paris. Le 19 mars 2022, c'est Federico Martín Aramburú qui est tombé sous les balles d'un militant d'extrême droite, dans une rue de Paris. Le 14 mai, un militant d’extrême-droite a tué un jeune homme à Paris par arme à feu. Non contente de diffuser des idées racistes, réactionnaires et xénophobes, l'extrême droite tue.

Le 12 août 2017 : assassinat de la manifestante anti-raciste Heather Heyer à Charlottesville aux Etats-Unis, par un militant d'extrême-droite, qui a foncé avec sa voiture dans une contre-manifestation qui dénonçait la tenue d'une grande manifestation d'extrême-droite.

Marielle Franco, militante féministe, des droits humains et LGBTQIA+ a été assassinée au Brésil le 14 mars 2018 est aussi une des victimes de l’extrême-droite raciste et homophobe.

Ce ne sont que quelques exemples, mais ils sont emblématique de ce danger mortel qu’est l’extrême-droite.

Annelie Buntenbach

Les connexions sur les connaissances et les luttes antifascistes sont très importantes.

L’extrême-droite le fait aussi. Il est décisif et important d’avoir un échange continue sur les stratégies.

Sur la question de l’avortement : l’extrême-droite est très active avec les fondamentalistes chrétiens. C’est très inquiétant. Il faut être plus claire sur ce sujet là. Aux États-Unis : on pensait que c’était clair et il y a un important recul.

4e tour de table - Quelles sont les stratégies antifascistes que vous pensez être nécessaires pour arrêter la montée de la droite ?

Alexander Tushkin.

Avant je luttais dans la rue : avec l’action antifasciste. La plupart de mes camarades ont été tués ou emprisonnés. Maintenant je fais de l’information comme journaliste.

les Antifascistes dans la rue font un travail extraordinaire ici en Allemagne. On doit être partout.

Il faut s’organiser à un niveau global : c’est très important. Et ne pas se diviser sur des détails.

Il faut développer une sorte de plateforme de travail. L’Allemagne est l’endroit idéal pour commencer.

Le temps de s’unir et d’agir est arrivé.

Qu’est-ce qu’il arrivera dans 5 ans si l’extrême-droite arrive au pouvoir plus largement ?

Cybèle

Il n’y a aucun arrangement ni aucun compromis possible avec l’extrême-droite. Aucun compromis non plus avec le conspirationnisme qui enlève de toute pensée critique, et crée des liens avec l’extrême droite qui cultive et se nourrit des théories du complot.

Le combat contre l’extrême droite n’est pas une alternative entre antifascisme de rue et participation aux élections. C’est dans les luttes sociales, féministes, antiracistes, l’auto-organisation,dans les syndicats qu’on combattra l’extrême droite. On doit tenir là aussi les deux bouts, dans les lieux de travail et dans la rue.

Notre projet syndical lutte contre toutes les discriminations. Nous pratiquons un antifascisme radical et social et un antifascisme de masse.

Solidaires participe activement au réseau de Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA), et nous prenons toute notre place dans la campagne intersyndicale lancée en 2014, avec la CGT et la FSU, « contre l’extrême droite, ses idées et ses pratiques ». Il y a une grande responsabilité des organisations syndicales pour déconstruire les idées d’extrême-droite auprès des travailleuses/eurs.

Mener des luttes sociales, gagner de nouveaux nos droits, c’est lutter contre l’extrême droite.

Pour Solidaires, le combat contre le fascisme ne se limite pas aux enjeux électoraux. Nous luttons plus contre la progression de l’extrême droite et de ses idées en agissant depuis des années au quotidien pour l’égalité des droits, contre l’injustice, pour la sécurité au travail – contre le racisme et la xénophobie –

C’est là que se mène l’essentiel de la lutte contre l’extrême droite, au quotidien, dans la fraternité des luttes où se retrouvent côte à côte l’ensemble des travailleurs et travailleuses quelle que soit leur origine.

Par exemple, actuellement nous sommes pleinement impliqué-es avec la grève des Sans Papiers en France des 3 piquets de RSI, DPD, Chronopost pour leur régularisation. Lutter à leurs côté fait partie de notre engagement antifasciste.

Avec d’autres, Solidaires produit du matériel (brochures, fiches, tracts) et organise aussi des stages de formation qui permettent de mieux connaître et combattre l’extrême droite.

La présence et l’activité syndicales au plus près des travailleurs et des travailleuses, quotidiennement sur les lieux de travail, la reconstruction d’un tissu syndical interprofessionnel de proximité participent d’un antifascisme concret. C’est parce que nous mènerons des luttes victorieuses sur le terrain des droits sociaux et économiques que nous pourrons faire reculer durablement les idées d’extrême droite.

Annelie Buntenbach

La stratégie antifasciste comprend toujours 3 éléments principaux :

→ réduire la marge d’action des nazis dans la société,

→ se mettre entre les nazis et leur public : les convaincre et déconstruire leurs mensonges, qu’ils sont aux côtés des riches (rôle des syndicats important).

→ faire attention à la stratégie des nazis de rendre les conflits « ethniques » et mobiliser les forces civiques, soutenir l’auto-organisation des luttes contre le fascisme.

Problème inquiétant actuel : les nazis sont de plus en plus forts lors des crises.

Il y a des risques en automne : nous subirons les conséquences de la guerre en Ukraine (inflation…). Ça inquiète les gens, et les plus pauvres se sentent isolé-es. Il y a aussi un risque de reprise de la pandémie, conséquences de la crise climatique.

Qui dans la société civile parle pour celles et ceux qui sont atteint ? Quelles solidarités ?

Ça pourrait devenir un moment de propagande renforcée de l’extrême-droite (l’AFD a annoncé des manifestations sur la question des prix). Comment la gauche va s’organiser et répondre à cette crise pour que les nazis ne réussissent pas à gagner en terrain ? On ne va pas marcher avec les nazis.

Sur la guerre en Ukraine : il reste beaucoup à discuter.

Une intervention importante de la salle d’une femme russe

Il n’y a pas beaucoup d’antifascisme avec la guerre mais un mouvement important anti-régime en Russie.

Nous pouvons faire plusieurs choses en Russie.

En Russie : on ne peut pas avoir recours à la justice mais ici on peut s’adresser aux parlementaires.

Nous menons une guerre de partisans : nous avons affaire à beaucoup d’informations pas claires.

Tou-tes des bénévoles qui devons partager nos informations, faire des affiches… mais presque impossible de travailler dans un pays où chaque pas peut mener à une arrestation ou la mort.

Nous les féministes nous travaillons collectivement, y compris dans des actions.

Nous devons agir maintenant et peut-être avoir une influence. En organisant des petites actions tous les jours, on aura plus d’impact qu’une grosse action.

Ici vous pouvez faire beaucoup de choses librement que nous ne pouvons pas faire. Vous devez agir pour nous aider.