Stop à l’impunité générale, la présomption d’innocence n’est pas un totem d’immunité !

Il aura fallu plusieurs semaines pour que le Ministre des solidarités accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles soit écarté du gouvernement, un autre Ministre de l’Intérieur dont les demandes de faveur sexuelles n’ont pas été vues comme pénalement répréhensibles de la part du juge pénal continue tranquillement à exercer ses fonctions..

La présomption d’innocence, si elle est un principe s’appliquant aux condamnations pénales, a bon dos quant aux violences sexuelles et est brandie à tout va...pour ne rien faire ! On aboutit à la situation ubuesque où très loin d’être à l’écoute de la parole des femmes, on en vient à devoir attendre une flopée de témoignages de femmes victimes (à partir de combien commence-t-on collectivement à penser qu’elles disent la vérité??) pour qu’il se passe quelque chose… Les révélations de Médiapart sur l’affaire PPDA, la démission avant les révélations des médias de Nicolas Hulot en sont des exemples flagrants…

Fin mai dernier, l’Association contre les violences faites aux femmes au travail l'écrivait1 :

«Combien de fois faudra-t-il le répéter ? La présomption d’innocence n’est pas, et ne peut être un totem d’immunité sur les terrains disciplinaires, déontologiques, éthiques et moraux (oui, la jurisprudence administrative parle bien de l’autorité « morale » dont les élus doivent disposer pour exercer leur mandat, laquelle est évidemment contrariée en cas de comportements inacceptables à l’encontre des femmes).»

La présomption d’innocence est en effet brandie à tout propos dès lors qu’on parle des ministres nommés au gouvernement accusés de viols, d’agressions sexuelles, mais bien sûr aussi à tous les niveaux dans la société. Comme s’il fallait pour agir, le sceau d’une condamnation pénale, dépendante d’un parcours policier, judiciaire, (hors stéréotypes ou déni, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui), et qui au mieux se réalise au bout de plusieurs années. Et rappelons que la justice ne condamne qu’1 % des 10 % de violeurs dénoncés, et que la plupart du temps la parole des victimes est méprisée, minimisée, dissuadée face aux chances de succès de la procédure, voire refusée.

L’AVFT le rappelle, il y a plusieurs jurisprudences qui attestent qu’il n’y a pas lieu d’attendre une condamnation pénale pour agir, protéger et sécuriser les femmes victimes, suspendre et sanctionner les agresseurs :

  • La jurisprudence administrative considère explicitement qu’il n’y a pas de violation du principe de présomption d’innocence quand un fonctionnaire est suspendu avant l’issue d’une procédure pénale2.
  • Pour le Conseil d’Etat, toujours pas de violation du principe de présomption d’innocence dans le cas d’un fonctionnaire sanctionné avant que le juge pénal ne se soit prononcé3. Idem en cas de révocation d’un élu4
  • La Cour de cassation valide la condamnation d’un employeur pour harcèlement sexuel alors que le salarié mis en cause a été relaxé des mêmes faits5.

Il est temps d’écouter la parole des femmes ! Les agresseurs sexuels doivent être suspendus, démissionnés ! Solidaires continuera sa lutte contre les violences sexistes et sexuelles!


1https://www.avft.org/2022/05/30/suspension_presomption_innocence/

2« L’autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas la présomption d’innocence en prononçant la suspension d’un fonctionnaire, qui n’est qu’une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, sans attendre l’issue de l’information judiciaire visant l’intéressé. » CAA Nantes, 17 septembre 2018, n°17NT00966

3«Considérant que les stipulations de l’article 6-2 de la CESDH prévoyant que toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie n’ont ni pour objet, ni pour effet, d’interdire à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire de sanctionner des faits reprochés à un agent public, dès lors que ces faits sont établis. » CE, 25 juillet 1995, n°151765

4CE, 26 février 2014 n°37301. Lire aussi : Non, Georges TRON ne doit pas « se débrouiller avec sa conscience » . Il doit être révoqué de sa fonction de maire de Draveil.

5https://www.avft.org/2020/04/15/articulation-penal-social/ Cass‧soc., 25 mars 2020, n° 401 FS-P+B. Lire aussi : Condamnation prud’homale de l’employeur pour harcèlement sexuel après une relaxe au pénal : la Cour de cassation lâche enfin du lest